Histoire à méditer : La Pierre et le Sabre



Miyamoto Musashi était un personnage réel mais grâce au roman de Yoshikawa, lui et les autres personnages principaux du livre sont devenus partie intégrante du folklore japonais vivant.

À l'inverse d'un mythe comme celui de Troie, qui est si loin de nous que nous peinons à nous faire une idée exacte de ce que fut la guerre de Troie, Musashi est une figure récente. Et il est encore aisé de percer le sens qui s'attache aux histoires qui se façonnent à partir de sa figure. Car le roman n'a pas une vocation historique ou biographique. La figure de Musashi est prétexte avant tout, et c'est en cela qu'elle devient image, polysémique ; elle comporte plusieurs niveaux de résonances, tant dans l'intellect que dans l'imaginaire du lecteur.

L'essence du roman est concentrée dans cette phrase, lumineuse, qui conclut la préface de Reischauer :
« L'accent qu'il met sur la recherche de la maîtrise de soi et de la force intérieure personnelle grâce à une austère autodiscipline de type Zen constitue un trait majeur du caractère japonais. Il en va de même pour la suprématie de l'amour de la nature, et du sentiment d'intimité avec elle. La Pierre et le Sabre est plus qu'un grand roman d'aventures. Il donne en outre un aperçu sur l'histoire japonaise, et sur l'image idéalisée que se font d'eux-mêmes les Japonais contemporains. »
À l'instar de l'Iliade, dont la rédaction est fortement influencée par le contexte politique et religieux, et nullement par les préoccupations contemporaines du conflit lui-même, le roman de Yoshikawa constitue donc une histoire dont la visée est au-delà de la simple restitution idéalisée de Musashi. Il utilise l'image du samouraï pour proposer, et défendre, une certaine idée de ce que doit être un Japonais. Le cours de la narration est ainsi émaillé d'une suite d'épisodes à portée hautement moralisatrice, qui explicitent ce qu'est bien agir en telle ou telle circonstance. Leur conclusion est d'ailleurs invariable : toute conduite conforme à l'ordre est couronnée de succès, mais qui suit le chaos finit toujours par chuter. Car c'est l'apologie d'un ordre immuable, voulu par la nature et les dieux, que propose La Pierre et le Sabre. Ainsi, à l'agitateur politique qui veut s'en prendre au shôgun, et dont les projets sont déjoués, on préfère la figure de Musashi qui, avant de s'occuper de réformer l'État, songe tout d'abord à réformer, critiquer, et élever à une dimension supérieure sa propre personne.

L'itinéraire de Musashi est riche de sens. Si Yoshikawa s'appuie sur les évènements historiques, et des figures qui ont existé à l'époque, il n'en demeure pas moins qu'il leur insuffle une portée symbolique.

Ainsi, Musashi entame son parcours dans le camp des perdants à Sekigahara, car il s'est précipité vers cette bataille sans rien connaître du monde. Puis il fuit, et commet nombre d'erreurs, guidé par son seul instinct. Cependant, la providence place sur son chemin une autre figure historique du Japon du XVIIe siècle, le moine Takuan : « Ainsi Takuan, qui tient lieu de phare et de mentor au jeune Musashi était-il un célèbre moine Zen, calligraphe, peintre, poète et maître du thé de l'époque. » Par sa grande sagesse, il fait prendre conscience à Musashi de l'animalité de ses actes et de ses réactions, et le guide vers la prise de conscience de la valeur à accorder à la vie. C'est alors que Musashi va renaître, lors d'un long enfermement au château de Himeiji, au terme duquel il prend le nom de Miyamoto Musashi en lieu et place de Shimen Takezo. Et c'est sous cette nouvelle identité qu'il va traverser plusieurs fois le Japon, faisant nombre de rencontres intéressantes, mais n'ayant surtout de cesse de progresser sur la Voie du samouraï.

En contrepoint de Musashi, on rencontre deux figures, qui tiennent le rôle de doubles dégradés du héros. Tout d'abord Matahachi, ami d'enfance qui le suit à Sekigahara. Lui et Musashi ne sont pas véritablement différents, sinon que Musashi se montre plus volontaire, courageux et fort d'emblée. Tandis que Matahachi se révèle un suiveur de peu d'ambition, qui ne fait que tomber de déchéance en déchéance tout au long des épisodes, Musashi croît en grâce et en renommée. Ensuite vient Sasaki Kojirô, le rival de Musashi, qui s'oppose à lui dans un terrible duel qui clôt le roman. Pareillement doué que Musashi pour la Voie du samouraï, il suscite le respect, et s'attire les honneurs. Mais il poursuit avant tout la gloire, et cherche à se placer et à faire connaître son style d'escrime le Ganryû. Il finit donc par être terrassé, car il « avait placé sa confiance dans le sabre de la force et de l'adresse. Musashi dans le sabre de l'Esprit. C'était toute la différence entre eux ». Symbole du chemin vers la domination de soi, et la réalisation de son potentiel, telle est la figure de Musashi dans l'œuvre de Yoshikawa.

Adaptations

Le roman a donné lieu à différentes adaptations pour la télévision, le cinéma et en bandes dessinées, notamment Vagabond , un manga de Takehiko Inoue. Une adaptation cinématographique très libre de Luc Besson a donné "Nikita" puis "Léon".

wikipedia

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