Biopolitique - Surveiller et punir

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Par un fort maillage social, avec au centre la prison, ce n'est plus le souverain qui est isolé, mais bien l'individu.

Biopolitique est un néologisme formé par Michel Foucault pour identifier une forme d'exercice du pouvoir qui porte, non plus sur les territoires mais sur la vie des gens, sur des populations, le biopouvoir. La « biopolitique » naît publiquement à Rio de Janeiro en octobre 1974, lors d'une série de cours sur « La médecine sociale ». Certains de ces cours ont été publiés et se trouvent dans les Dits et écrits.

À trois reprises en quelques mois, Foucault use de la même figure, à chaque fois différemment. Une constante toutefois - il y voit l'illustration du passage d'un type de pouvoir à un autre. À chaque fois, il relève que ce nouveau type de pouvoir prend en compte et s'exerce sur le corps et sur la vie, à la différence du plus ancien qui s'appliquait, selon le modèle juridique, sur les sujets.
Dans l'attention à la vie de la population tel qu'il est mis en évidence dans la quarantaine, Foucault voit les débuts de ce qu'il va appeler la biopolitique. Il s'agit de la prise en compte progressive, par le pouvoir, de la vie de la population. Cela ne veut pas dire simplement un groupe humain nombreux, mais des êtres vivants traversés, commandés, régis par des processus, des lois biologiques. Une population a un taux de natalité, une pyramide des âges, une morbidité, elle peut périr ou bien au contraire se développer. C'est une application à optimiser la force collective. Et c'est ainsi que l'on peut lire le dispositif de la quarantaine: maximaliser la vie de la population. De cette prise en compte de la population, de nouveaux types de problèmes vont se poser comme ceux de l'habitat, des conditions de vie dans une ville, de l'hygiène publique, de la modification du rapport entre natalité et mortalité.
Foucault va tantôt mettre l'accent sur la prise en compte de la vie, et développer la genèse de la biopolitique, tantôt souligner la surveillance individualisante, et mettra en avant l'émergence du pouvoir disciplinaire.

La biopolitique serait pour Michel Foucault, l'action concertée de la puissance commune sur l'ensemble des sujets, en tant qu'êtres vivants, sur la vie de la population, considérée comme une richesse de la puissance commune, devant être l'objet d'attention en vue de la faire croître et d'en accroître la vitalité.

Surveiller et punir

Sous-titré Naissance de la prison, Surveiller et punir est un ouvrage majeur de Michel Foucault paru aux éditions Gallimard en février 1975.

l’Histoire de la folie à l’âge classique Dans cette thèse Foucault met en scène le déviant comme figure nécessaire à la création de l’humanité. C’est d’ailleurs en étudiant les travaux de Philippe Pinel relatifs au traitement de la folie et des fous que Foucault s’attarde sur les prisons et les lieux d’enfermement et écrit, en 1975, Surveiller et Punir.
Dans cet ouvrage, critiqué par les psychiatres pour sa position vis à vis des asiles (considérés par le philosophe comme des mondes d’enfermement) et sa méconnaissance de l’expérience de la douleur du fou (pour Foucault la folie n’est pas une souffrance mais une position sociale [le déviant étant soit déviant volontaire, soit déviant involontaire]), Foucault développe l’idée que l’on remplace la douleur du supplice de Robert-François Damien par une douleur plus subtile, spirituelle. Enfermé, le corps autrefois dépecé, supplicié du condamné ne peut plus devenir saint, il s’agit de stopper le principe du martyr. En lien avec ce "sentiment d’omniscience invisible" Foucault reprend l’idée spinoziste (Ethique, livre V) que plus les sociétés sont libérales plus elles développent une tyrannie sourde et plus ses individus sont conditionnés.


Lorsque Surveiller et Punir paraît en 1975, Michel Foucault est un intellectuel reconnu, qui jouit d'une position éminente à la fois dans le monde académique – il a été nommé professeur au Collège de France en 1970 – et médiatique où son avis est régulièrement sollicité par la presse nationale.

La prison est son domaine d'intervention publique principal. À la suite de grèves de la faim de militants de la Gauche prolétarienne pour obtenir le statut de prisonniers politiques, il fonde en 1971 avec Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet le Groupe d'information sur les prisons (GIP). L'association ambitionne, notamment à travers l'élaboration d'un questionnaire, de permettre à la voix des prisonniers et des personnels impliqués dans le système carcéral d'accéder à l'espace public. En 1973, Foucault préface l'essai De la prison à la révolte de Serge Livrozet qui a mis sur pied le Comité d'action des prisonniers (CAP) « dont l'action prend le relais du GIP, dans une logique un peu différente ».

Sans être un ouvrage militant et sans aborder de manière directe l'actualité des prisons françaises, Surveiller et punir entre en résonance avec l'engagement de Foucault au moment de sa rédaction. Il peut ainsi affirmer en introduction :
« Que les punitions en général et que les prisons relèvent d'une technologie politique du corps, c'est peut-être moins l'histoire qui me l'a enseigné que le présent »
Pour l'historienne Michelle Perrot, Surveiller et punir s'intègre à l'échelle de l'œuvre de Foucault dans un « cycle carcéral », entamé avec Moi, Pierre Rivière... (1973) et conclu avec Le Désordre des familles (1982), écrit avec Arlette Farge.

La disparition des exécutions publiques

L'essai étudie l'apparition historique de la prison sous sa forme moderne en commençant par constater la disparition de l'application en public de la peine de mort au profit d'exécutions cachées par le secret des murs. Selon l'auteur, cette évolution est révélatrice d'une révolution de la façon selon laquelle le pouvoir se manifeste au peuple.

En effet, le supplice était l’élément central dans la manifestation de la vérité de la culpabilité du condamné. L'essai s'ouvre ainsi en introduction sur le supplice de Damiens. Le caractère public du supplice, la symbolique des condamnations (poing coupé des parricides, langue percée des blasphémateurs) permettait la démonstration du pouvoir royal face au crime, qui en plus de sa victime immédiate, attaquait le souverain dans son pouvoir de faire les lois (crimen majestatis).

Mais, alors que le monarque absolu ne concevait son autorité que visible et terriblement effrayante pour les tiers assistant à son affirmation, le pouvoir moderne préfère entretenir un mystère inquiétant quant aux peines qu'il exécute. Il découvre que le peuple n'a pas besoin d'assister au châtiment des siens pour s'en tenir à ce qu'il souhaite qu'il s'en tienne. De plus ce peuple peut s'avérer dangereux quand il soutient le châtié et dans l'aspect carnaval des exécutions publiques.

Ceux qui ne respectent pas la loi ne se voient plus condamnés à une sanction physique qui restera sur leur corps comme un témoignage offert au vu et au su de tous. Ils ne sont plus non plus condamnés à une réparation directe de leurs fautes en plein jour. Les peines ont dorénavant une visée correctrice. La publicité de la peine ne vise plus tant à montrer la souffrance mais plutôt à réaffirmer l'actualité de la Loi. Il y eut un modèle réformateur et un modèle carcéral (dont l'objectif était plus de dresser les corps que de réinsérer l'individu). C'est le second qui l'a emporté.
« Le châtiment est passé d’un art des sensations insupportables à une économie des droits suspendus »

L'intérieur de la prison Presidio Modelo, à Cuba, construite sur le modèle du panoptique

Le surgissement d'un regard culpabilisateur

Désormais, les hors-la-loi sont simplement privés de leur liberté. Cela ne signifie pas pour autant un confinement des coupables dans des oubliettes ou au fond de quelque bagne. C'est plutôt le pouvoir qui disparaît derrière une architecture carcérale nouvelle capable de contraindre les captifs sans que le geôlier et l'autorité qu'il incarne n'aient à se manifester directement par quelque coup de fouet ou autres.

Rêve de Jeremy Bentham, le panoptique s'impose. Les prisons sont désormais construites selon des plans circulaires permettant au surveillant situé dans une tour centrale d'observer sans jamais être vu, les silhouettes des détenus se détachant à contre-jour sur des fenêtres extérieures via d'autres fenêtres donnant sur une cour intérieure.

Cette architecture permet éventuellement de se passer complètement de surveillant, le seul sentiment d'être observé étant susceptible d'obtenir des captifs une forme d'obéissance. Ainsi, en plus de n'être pas coûteux d'un point de vue économique, la prison moderne est d'abord une entreprise de culpabilisation travaillant les consciences individuelles à travers un regard tout-puissant.

La prison passe alors d'une fonction punitive à une visée « normalisatrice », visant indirectement par les corps l'« âme » des détenus qu'il s'agit de redresser. L'institution carcérale et à travers elle la justice moderne détient par là même des pouvoirs d'une ampleur inédite jusqu'ici, le pouvoir n'étant désormais plus concevable selon Foucault sans la relation qu'il entretient avec la connaissance de l'individu. Loin de contribuer à l'"émancipation" de l'Humanité, idéal hérité des Lumières, la Société moderne s'apparente de plus en plus à de la surveillance organisée.

Le contrôle à distance des trafics et de la délinquance

La prison moderne est également un monde comptable. Il produit des chiffres et construit des tableaux dans lesquels les cellules sont tout autant des cases quadrillées tracées sur le papier que des pièces dans lesquelles sont visibles les prisonniers. Les parois les séparant les unes des autres sont suffisamment solides pour que cessent tous ces petits trafics qui hier rendaient impossible le contrôle strict des coupables sanctionnés.

La mise en place de ce système carcéral a plusieurs conséquences. La première, c'est l'apparition de la délinquance, forme de criminalité moderne préférable à l'ancienne en ce sens qu'elle est le fait d'individus déjà connus, fichés et travaillés par l'autorité et donc peu susceptibles d'une récidive beaucoup plus grave.
Colonie pénitentiaire de Mettray

La colonie pénitentiaire de Mettray, destinée à réhabiliter de jeunes délinquants et située à Mettray, petite localité d'Indre-et-Loire, fut créée en 1839 et fermée en 1939. Cet établissement, bien que fondé sur des principes idéalistes, à savoir rééduquer les jeunes délinquants par le travail de la terre, garde la triste réputation d'être l'ancêtre des bagnes pour enfants. Une réouverture s'effectue en 1957 grâce à Marcel Tomeno sous forme d'un I.M.Pro pour mineurs débiles moyens, légers et "caractériels" (14-18 ans) et dont il assurera la direction jusqu'à son décès (1964).
Mais aussi, ce dispositif rend perceptible un renversement essentiel : alors qu'à travers le supplice il s'agissait pour le pouvoir d'être visible du plus grand nombre, avec le panoptisme la problématique s'inverse. Comment faire en sorte que le plus grand nombre soit visible du plus petit nombre. Foucault introduit ainsi à une problématique autour de la police et d'un quadrillage de la population sur le modèle de la surveillance au temps de la peste. Le mal social est conçu sur le modèle de l'épidémie.

Melbourne Central, image Panopticon de Jonathan O'Donnell

Le panoptisme et le redressement des morales

Le succès de ce système aidant, la seconde conséquence de sa mise en place est son adoption par d'autres institutions que la seule prison, à commencer par l'atelier, où quelques contremaîtres suffisent désormais à contrôler des centaines de travailleurs : ils déambulent à présent dans des allées rectilignes d'où ils dominent les employés assis à une table individuelle et tous visibles de loin. On retrouve également des méthodes carcérales dans les écoles, les pensionnats ou les casernes, où les lits sont peu à peu alignés, les emplois du temps plus stricts, l'exercice et la répétition valorisés.

Le redressement des corps humains auquel ces institutions procèdent chacune à leur façon conduit selon Michel Foucault au redressement des morales, chacun devenant son propre censeur une fois qu'il y a été corrigé par un concours d'organismes, tout au long de sa vie.

Par un fort maillage social, avec au centre la prison, ce n'est plus le souverain qui est isolé, mais bien l'individu.

Histoire de la folie à l'âge classique



Nicole BRICE interviewe Michel FOUCAULT, philosophe, à propos de son livre "Histoire de la folie à l'âge classique" : la folie, phénomène de civilisation ; les rapports entre la folie et une société donnée ; la situation des fous avant le XVIIème siècle ; la hantise de la folie au XVIème et au début du XVIIème siècle ; les textes de fous publiés ; les causes du changement de statut de la folie, l'évolution de ce statut dans notre société ; la folie et la culture contemporaine.

Michel Foucault




Jacques Chancel s'entretient avec le philosophe, professeur au Collège de France, Michel Foucault.
- Générique début
- A 00'57 : sur le savoir, a toujours été dans le savoir. Mai 1968 a été une révolte contre l'interdiction d'un certain savoir, Mai 68 a été une ouverture et invasion d'un nouveau type de savoir, ses diplômes, son enseignement au Collège de France. Le savoir doit être lié au plaisir, la pression des parents sur les enfants, l'importance relative des diplômes, l'impression qu'il veut offrir à son lecteur.
- A 18'57 : pourquoi il a écrit sur la folie, le savoir médical lié au pouvoir psychiatrique, le livre "Histoire de la folie". La psychiatrie comme instrument d'assujettissement et de normalisation des individus.
- A 28'49 Son livre: "Surveiller et punir", la surveillance fait fonctionner le pouvoir punitif, la peine de mort, la police et l'armée. la police et l'armée supplicient, la surveillance n'a pas de bornes politique ni sociale, il n'est pas contre la punition, mais souligne le lien entre la punition et le pouvoir politique, les supplices étaient des rituels royalistes, les relations de pouvoir.
- A 49'18 la non réaction des psychiatres et des marxistes, parle de Roland BARTHES et de leurs divergences, son envie de liberté, de repartir à zéro.
Emission diffusée le 10 mars 1975 sur France Inter.

Emission
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Wikipedia :
Biopolitique
Surveiller et punir
Histoire de la folie à l'âge classique
INA : Enquêtes et commentaires
Savoir et pouvoir dans la grille de Foucault
Noam Chomsky - Noam vs. Michel Foucault (Eng. subs) 
Rien à cacher, rien à craindre

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