La surprenante science de la motivation


Au début des années 2000, le concept du Logiciel Libre (Open Source) est plutôt considéré comme une utopie. Pourtant, ce modèle est un pilier de la Nouvelle économie. Aux États-Unis la nouvelle économie désigne la hausse de la croissance générée à partir de la fin des années 1990 par les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). L’Open Source est présent à tous les niveaux du système d’information. Avec un chiffre d'affaires de plusieurs milliards d'euros, ce mode de production et de distribution original s'appuie sur l'intelligence collective (développement, révision du code, rédaction de documentation et distribution). Sur le terrain, on constate que c'est tout d'abord l'organisation de l'écosystème qui est bouleversée : il ne s'agit plus d'un processus dit « top - down » mais d'une agrégation de compétences autour d'un projet, d'une communauté et non d'un seul et unique éditeur. De quoi poser des problèmes nouveaux à la fois d’analyse et de politique économique. Mais il ne s’agit pas ici de faire un tour d’horizon complet de l'Open Source, ni la synthèse des différents mouvements. Le but de cet billet, que l’on soit utilisateur, développeur ou bien producteur de logiciel, est de comprendre la motivation au cœur de ce phénomène.

Comme vous pouvez le deviner, l'environnement Open Source est dynamique et la structure est organique. Le code source est disponible pour tous. Naturellement, en cas de désaccord au sein d'une communauté, certains projets se séparent en plusieurs branches, « projet dérivé » ou fork en anglais, pour former des familles multigéniques. Malheureusement, l'apparition d'un fork entraîne souvent la fin du projet initial.
Ainsi, les forks permettent en quelque sorte une sélection naturelle parmi la profusion de Logiciels Libres. La course est maintenant vers la qualité, et non plus vers la quantité. Ce changement de paradigme est aussi un signe d'un changement de mentalité des communautés Open Source, par conséquent des modes de fonctionnement, des responsabilités, rémunérations et motivations de chacun.

Je propose de reprendre le constat de Dan Pink, conseiller en carrière, qui examine les méandres de la motivation en partant d'un fait que les sociologues connaissent mais que la plupart des managers ignorent : les récompenses traditionnelles ne sont pas toujours aussi efficaces que l'on croit. Écoutez ses histoires éclairantes et ci-après la transcription de son intervention en français.



Le vrai problème de la bougie

Ceci a été reproduit encore et encore et encore depuis près de 40 ans. Ces "motivations contingentes", si vous faites ceci, alors vous aurez cela, marchent dans certaines circonstances. Mais pour beaucoup de tâches, soit elles ne marchent pas, soit, souvent, elles sont néfastes. Ceci est l'une des découvertes les plus robustes des sciences sociales. Et c'est aussi l'une des plus ignorées.

J'ai passé les deux dernières années à examiner la science de la motivation humaine. Particulièrement la dynamique des motivations extrinsèques et des motivations intrinsèques. Et je vous assure : ça ne colle pas. Si vous considérez les études, il y a une divergence entre ce que la science sait et ce que le monde des affaires fait. Et ce qui est inquiétant, c'est que le système de fonctionnement des entreprises - pensez à l'ensemble des hypothèses et protocoles sous-jascents, comment nous motivons les personnes, comment nous utilisons nos ressources humaines - est construit entièrement sur ces motivateurs extrinsèques, les carottes et les bâtons. En fait, ça marche pour beaucoup de tâches du 20ème siècle. Mais pour les tâches du 21ème siècle, cette approche mécaniste de récompense-et-punition ne marche pas. Souvent ça ne marche pas, et c'est souvent nuisible. Laissez-moi vous montrer ce que je veux dire.

Les récompenses "si, alors" marchent vraiment bien pour le type de tâches, où il y a des règles simples et un but clair à atteindre. Les récompenses, de par leur nature, restreignent notre vision, concentrent la pensée. C'est pourquoi elles marchent dans tellement de cas. Et donc, pour des tâches comme ça, une vision limitée où vous ne voyez que le but droit devant vous, et on fonce tout droit, les récompenses marchent vraiment bien. Mais pour le vrai problème de la bougie, vous ne voulez pas cette approche. La solution n'est pas là. La solution est à la périphérie. Vous devez explorer les alentours. Et cette récompense limite en réalité notre vision et restreint nos possibilités.

Laissez-moi vous dire pourquoi c'est si important. En Europe de l'Ouest, dans une bonne partie de l'Asie, an Amérique du Nord, en Australie, les cols blancs font moins de ce genre de travail, et plus de ce genre de travail-là. Cette routine basée sur des règles, pour notre cerveau gauche, certains travaux de comptabilité ou d'analyse financière certains travaux de programmation informatique, sont devenus assez faciles à externaliser, assez faciles à automatiser. Le logiciel peut le faire plus vite. Les fournisseurs à bas coût autour du monde peuvent le faire moins cher. Donc ce qui compte, ce sont plutôt les compétences créatives et conceptuelles pour notre cerveau droit.

Pensez à votre propre travail

Pensez à votre propre travail. Est-ce que les problèmes que vous rencontrez, ou même les problèmes dont nous parlons ici, est-ce que ces problèmes ont un ensemble de règles claires et une solution unique ? Non! Les règles sont mystifiantes. La solution, pour autant qu'il en existe une, est surprenante et pas évidente. Chacun dans cette salle est confronté à sa propre version du problème de la bougie. Et pour tout type de "problème de la bougie" dans n'importe quel domaine, ces récompenses "si, alors", les choses autour desquelles nous avons construit tant d'entreprises, ne marchent pas.

Ça me rend dingue! Et ce n'est pas... voilà la chose : Ce n'est pas un sentiment. OK ? Je suis un avocat. Je ne crois pas aux sentiments. Ce n'est pas une philosophie. Je suis un Américain. Je ne crois pas à la philosophie. (Rires) C'est un fait. Ou comme on dit chez moi à Washington D.C., un vrai fait. (Rires) (Applaudissements) Laissez-moi vous donner un exemple de ce que je veux dire. Laissez-moi marteler la preuve ici. Parce que je ne vous raconte pas une histoire. Je soutiens une cause.

Mesdames et messieurs du jury, quelques preuves : Dan Ariely, l'un des plus grands économistes contemporains, et trois de ses collègues ont effectué une étude sur certains étudiants du MIT. Ils ont donné à ces étudiants du MIT un tas de jeux. Des jeux qui impliquent la créativité, et la motricité, et la concentration. Et ils leur ont proposé pour leurs performances trois niveaux de récompenses. Petite récompense, moyenne récompense, grosse récompense. OK ? Si vous réussissez vraiment bien, vous recevez la grosse récompense, etc. Que s'est-il passé ? Tant que la tâche n'impliquait qu'un talent mécanique les bonus ont marché comme attendu : plus la paie était haute, meilleure était la performance. OK ? Mais dès qu'une tâche demandait un talent cognitif, même rudimentaire, une plus grosse récompense conduisait à de moins bonnes performances.

Puis ils ont dit : "OK, voyons si nous avons une influence culturel ici. Allons à Madurai en Inde, et refaisons le test." Le niveau de vie est plus bas. À Madurai, une récompense modeste en Amérique du Nord est plus significative. Même chose. Un tas de jeux, trois niveaux de récompenses. Qu'est-ce qui se passe? Les gens à qui l'on a proposé les récompenses moyennes n'ont pas fait mieux que ceux à qui l'on a proposé les petites récompenses. Mais cette fois, ceux à qui l'on a proposé les plus grosses récompenses... ont fait pire que tous. "Dans huit des neuf tâches examinées au cours de trois expériences, les incitations les plus hautes ont conduit aux pires performances."

Dis donc, n'y aurait-il pas une conspiration socialiste là-dessous ? Non. Ce sont des économistes du MIT, de Carnegie Mellon, de l'Université de Chicago. Et savez-vous qui a financé cette recherche ? La Réserve Fédérale des États-Unis. C'est une expérience américaine.

Traversons l'étang jusqu'à l'École d'Économie de Londres


LSE, London School of Economics. L'alma mater de 11 lauréats du prix Nobel d'économie. Lieu de formation de grands penseurs économiques comme George Soros, et Friedrich Hayek, et Mick Jagger. (Rires) Le mois dernier, juste le mois dernier, les économistes de la LSE ont examiné 50 études de systèmes de rémunération à la performance dans des entreprises. Voilà ce que ces économistes ont dit: "Nous avons trouvé que les incitations financières peuvent causer un impact négatif sur la performance globale."

Il y a une divergence entre ce que la science sait et ce que le monde des affaires fait. Et ce qui m'inquiète, alors que nous sommes dans les décombres d'une économie effondrée, c'est que trop d'organisations prennent leurs décisions, leurs politiques sur le talent et les gens, en se basant sur des hypothèses dépassées, non vérifiées, et enracinées plutôt dans le folklore que dans la science. Et si nous voulons vraiment sortir de cette pagaille économique, et si nous voulons vraiment de hautes performances sur les tâches propres au 21ème siècle, la solution n'est pas de faire plus des mauvaises choses. D'attirer les gens avec des carottes plus douces ou de les menacer avec un bâton plus pointu. Il nous faut une approche entièrement nouvelle.

Et les bonnes nouvelles à ce sujet sont que les scientifiques qui ont étudié la motivation nous ont donné cette nouvelle approche. C'est une approche plutôt basée sur la motivation intrinsèque. Sur l'envie de faire des choses parce qu'elles importent, parce que nous les aimons, parce que c'est intéressant, parce que ça fait partie de quelque chose d'important. Et à mon avis, ce nouveau système de fonctionnement de nos entreprises tourne autour de trois éléments : l'autonomie, la maîtrise et la pertinence. L'autonomie : le désir de diriger nos propres vies. La maîtrise : l'aspiration de se surpasser sur quelque chose qui compte. La pertinence : l'envie de faire ce que nous faisons au service de quelque chose qui nous dépasse. Ce sont les briques d'un système de fonctionnement entièrement nouveau pour nos entreprises.

Retrouvez la vidéo et transcription multilingues sur le site TED

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