Discrimination : changer de peau


Le sens du terme « discrimination » est à l'origine neutre, synonyme du mot « distinction », mais il a pris, dès lors qu'il concerne une question sociale, une connotation péjorative, désignant l'action de distinguer de façon injuste ou illégitime, comme le fait de séparer un individu ou un groupe social des autres en le traitant plus mal.

Changer de peau

Une famille Blancs soigneusement grimés en Noirs, une famille de Noirs soigneusement grimés en Blancs. Le film documentaire de Canal+ "Dans la peau d'un noir" retrace leur métamorphose avant d'entrer dans le vif du sujet: les discriminations, lors de la recherche d'un emploi, d'un appartement ou tout simplement dans un restaurant.

"On a voulu illustrer ce qu'est le racisme au quotidien en France", explique Rodolphe Belmer, recteur général délégué de la chaîne cryptée. Selon lui, l'idée était de rendre ce problème "sensible ou perceptible, c'est-à-dire visible, à l'ensemble de nos concitoyens".

"L'idée de cette immersion n'est pas nouvelle", note Christine Cauquelin, directrice des documentaires de Canal+.

En 1959, l'écrivain Blanc américain John Howard Griffin s'était transformé en Noir à coup d'ultra-violet pour vivre pendant six semaines la vie d'un homme de couleur dans le sud des Etats-Unis.

En France, un journaliste magazine Actuel avait réédité l'expérience. Enfin, Canal+ a acheté les droits de l'émission américaine créée pour la Fox, "Black and White", fondée sur le même principe d'un échange de race, pour mettre au point sa propre émission.

Aux Etats-Unis, une famille blanche de Californie , libérale, et une famille noire "midle class" de Georgie avaient joué le jeu. Clip d'Ice Cube, à l'occasion de la diffusion du programme américain :



"Il ne s'agissait pas de faire un état des lieux racisme en France", souligne Renaud Le Van Kim, d'origine asiatique, réalisateur de ce long documentaire (deux fois 100 minutes) avec Adrien Soland ou Stéphanie Pelletier. Selon lui, son documentaire ne montre pas de comportements racistes flagrants mais plutôt une "accumulation de micro-vexations".

Comparant le racisme en France ou aux Etats-Unis, il note qu'aux Etats-Unis, les Noirs ne sont pas considérés a priori comme étrangers, alors qu'en métropole, on les considère spontanément comme étrangers ou, tout au plus, originaires d'outre-mer. Selon lui, même si la société n'est pas majoritairement raciste, "la somme des microcomportements, des microvexations, des microdiscriminations amène de nombreuses personnes noires à s'autocensurer, à se sentir inférieures".

Dans la peau d'un noir

Les caméras de Canal+ suivent donc les deux familles, tantôt grimées, tantôt non, en quête d'un emploi, d'un logement, ou en train de faire des achats. Le soir, autour d'une table, Blancs ou Noirs échangent leurs impressions.

"Changer de couleur de peau pour prendre conscience de la réalité du racisme au quotidien, c'est l'étonnante expérience à laquelle se sont prêtées deux familles pendant quatre semaines. Chaque jour, elles vivent une situation nouvelle, liée aux problèmes de discrimination et de préjugés : recherche d'emploi, d'appartement, accès en boîte de nuit... Chaque jour, elles font le récit de leur ressenti et confrontent leurs témoignages."



Ils ont beaucoup évolué au cours de l'expérience qui a duré un mois, souligne Renaud Le Van Kim.

Laurent Richier, en particulier, discriminé à cause de sa surcharge pondérale quand il était jeune, se montre de plus en plus choqué pour les vexations qu'il subit "dans la peau d'un Noir". "Si ce film peut changer le idées de 10, 20 ou 30 personnes, je serais super heureux", conclut-il.

Laurent Richier, 40 ans

Selon le dossier de presse, une des premières difficultés rencontrées au cours de l'élaboration du projet fut le choix des familles. S'il a été facile de trouver une famille noire désireuse de raconter les discriminations dont elle était victime au quotidien, le choix de la famille blanche fut plus délicat, et ce sont les Richier qui ont séduit la production par leur désir sincère de partager cette expérience en famille.

Stéphanie, 35 ans

Jonathan, 16 ans

Au prix de longues années de maquillage, une équipe de spécialistes a transformé en Noirs une famille de Blancs, Laurent Richier, 40 ans, son épouse Stéphanie, 35 ans, ou leur fils Jonathan, 16 ans, ou changé en Blancs une famille de Noirs, Romuald Berald, 41 ans, Antillais, sa compagne Ketty Sina, 48 ans, d'origine camerounaise, ou la fille de cette dernière, Audrey Verges, 19 ans, métisse camerounaise ou catalane.

Romuald Berald, 41 ans

Concernant le maquillage, six mois ont été nécessaires à Pierre-Olivier Thévenin et son équipe pour mettre au point une technique adaptée à la transformation d'un visage ; sans compter les dix semaines de préparation et de tests après la validation des familles sélectionnées.

Audrey Verges, 19 ans

Une équipe de quinze personnes a été nécessaire à la réalisation de ce projet tandis que chaque maquillage a nécessité trois maquilleurs et une perruquière par personne, travaillant pendant quatre heures, pour une tenue de cinq heures. Le projet de transformation a été abordé de manière différente de celui d'un projet pour le cinéma, car le résultat devait être crédible à l'oeil nu. Le plus important a été la création d'une peinture translucide permettant d'obtenir la couleur de peau la plus vraisemblable.

Ketty Sina, 48 ans

Ketty Sina a souhaité briser le silence pour faire prendre conscience aux gens que, dans la société française, certains comportements amènent les Noirs à se sentir inférieurs. «Le racisme ne s'exprime pas de manière méchante. C'est plus subtil, plus mesquin. Et, inconsciemment, on finit par s'autocensurer, par s'imposer des limites. On s'interdit de se rendre dans certains lieux, de faire des choses qu'on a le droit de faire.» Maquillée en blanche, elle a pu constater un changement radical d'attitude à son égard: «Tout devenait plus fluide. Les gens étaient avenants, courtois. J'étais comme tout le monde».

Elle a débarqué dans l'Hexagone de son Cameroun natal à l'âge de 15 ans. Sans parler un mot de français. Ancienne Clodette, puis meneuse de revue, aujourd'hui à la tête d'un restaurant à Paris, Ketty Sina, 49 ans, est un bel exemple d'intégration.

«À force de travail et de persévérance, j'ai réussi à me faire une place au soleil, souligne-t-elle. Mais nous, les Noirs, que nous soyons d'origine africaine ou antillaise, nous ne nous faisons pas souvent entendre. Installée en France depuis plus de trente ans, j'estime avoir assez d'expérience et de recul pour témoigner. Être victime de racisme, c'est quelque chose de dur à vivre pour des immigrés, mais ça l'est encore plus pour leurs enfants nés ici.»

Si le documentaire montre, en caméra cachée, certains comportements racistes ou assimilés, cela ne signifie pas pour autant que la France soit un pays raciste. «Nous sommes tous des êtres humains, donc le phénomène se retrouve partout, y compris en Afrique, reconnaît Ketty Sina. Par exemple au Cameroun, il existe des problèmes entre tribus. C'est pareil aux Antilles, entre Guadeloupéens et Martiniquais.»

Wikipedia: Dans la peau d'un Noir (documentaire)

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